• Si tu me rends visite quelques fois dans mes rêves ? Oui. Tu apparais toujours dans les mêmes espaces, une grande salle de cours, un amphithéâtre ou quelque chose de ressemblant ; en tout cas, un lieu bondé de monde, qui se délectent en savourant une symphonie composée de mots. Tous écoutent un orateur, un écrivain ? Un poète ?

    Dans aucun des rêves où tu t’y trouves, je ne suis assise parmi les auditeurs. Je suis toujours debout. Je fais face à ces mélomanes, pas très loin du poète, un peu en retrait. Je l’écoute attentivement et je promène sereinement mon regard sur la salle.

    Par un heureux hasard, nos regards se croisent furtivement.

    Nous nous connaissons.

    Nous nous reconnaissons.

    Je porte mon regard ailleurs et je m’éloigne, prise d’agitation. Partout où je vais, mon regard tombe obsessionnellement sur le tien qui me fixe curieusement. Le poète déclame pianissimo les mots que nous aurions dû nous dire tandis que nous les écoutons se déferler dans la salle comme une vague rugissante.

    Le poète se tait. Le flot des mots s’éteint en un triste murmure. Tu te lèves de ton siège et tu disparais oubliant derrière toi ton regard qui me fixe dans mon coin et qui m’interroge inlassablement. Tu t’en vas et moi, bien sûr, je ne t’accompagne pas. Je te laisse partir, aveugle et sourd.

    Je garde ton regard et tes mots.


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  • J’ai des mots pour toi,

    Des mots qui voltigent

    Dans les cieux de ma chambre

     

    J’ai des mots tendres pour toi,

    Des mots qui gonflent

    Les voiles de ma jonque.

     

    J’ai des mots d’amour pour toi,

    Des mots de Silence qui patientent

    Pour que tu les nommes

     

    J’ai des mots de regret pour toi,

    Des mots de fantômes qui errent

    Dans les forêts denses de l’émoi.

     

    J’ai des mots pour toi,

    Des rumeurs incessantes

    Qui te rappellent à moi.


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  • Lui raconter mon enfance. Le seul sujet que j’avais à l’esprit.

    Près de lui, j’étais redevenue cette enfant souriante et fragile auxquels les mots manquaient. Petite fille, longtemps, mon grand-père et moi prenions le même sentier à travers les champs. Arrivés sur la colline, nous nous abritions du soleil sous un vieux platane. Mon grand-père ôtait son chapeau et je renouvelais son geste en ôtant ma casquette. Sous ce platane qui bavardait sans cesse avec le vent en gesticulant, mon grand-père et moi regardions au loin, en silence. Longtemps, au lieu d’habiter l’espace, je l’écoutais se construire autour de moi, toujours en regardant au loin.

    Bien des années plus tard, à côté de lui, je reste encore muette. Mes histoires prisonnières de mes appréhensions et de mes espoirs. La respiration entrecoupée, je tente encore une fois de rompre le silence mais rien n’y fait. Mon cœur ébranle ma poitrine et les mots qui s’y bousculent me donnent le vertige. Une envie insensée de tomber me submerge et je rêve de toutes ces choses auxquelles je pourrais m’accrocher mais que je dédaignerai finalement tant la chute sera enivrante.

    Assise auprès de lui, je regarde au loin. Ses doigts perdus dans mes cheveux, il me souffle des mots que le vent fait perdre dans la  brume.

    Je l’ai aimé dès le premier regard. Mais je ne le lui ai jamais dit.


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  • Elle était là, assise dans la salle d’attente.

    Si je m’y attendais !

    Je crois que je suis resté longtemps planté au beau milieu de la porte à la regarder ébahi comme un imbécile, jusqu’au moment où une grosse vache me pousse de son énorme épaule et que je manque de m’écrouler par terre. C’est encore la grosse vache qui me rattrape et, bruyamment, formule des excuses interminables que je n’écoute même pas.

    Le brouhaha que l’entrée de cette femme a créé m’a sorti momentanément de ma torpeur. Je me suis dégagé de son emprise et je suis allé retrouver ma femme. Elle m’observait depuis un moment déjà, l’air amusé. Elle s’est levée de sa chaise, m’a tendue la joue et m’a juste demandé si on allait pouvoir enfin rentrer.

    A la maison, la table était dressée. Un instant, j’ai failli avouer avoir déjà mangé. Honnêtement, je ne pouvais plus rien avaler mais j’ai décidé de ne rien laisser paraitre. J’ai pris une douche rapide et je me suis installé en face d’elle. Me faisait face toujours cette pendule suspendue au mur et dont le tic-tac régulier et patiemment éternel rendait nos repas encore plus solennels.

    Je n’ai pas eu le temps de simuler un appétit dévorant. Déjà, elle soupirait en jetant négligemment sa serviette sur la table : « vous m’avez coupé l’appétit, vous autres » m’a-t-elle dit amèrement, me reprochant presque d’avoir entamé l’entrée. J’en eus le souffle coupé. A priori, le « vous » qui se voulait solidaire ne me rendait pas moins coupable que les « autres ».

    Quelques instants de silence m’ont permis de découvrir que l’angoisse qui l’empoignait au cœur était plus profonde que le sentiment de désarroi qui me rendait soudain de mauvaise humeur. A peine quelques instants qui m’ont paru une éternité et durant lesquels j’ai cru entendre la pendule se rire de moi. Moi, un pantin incapable de faire un geste vers elle, ignorant de quoi il s’agissait et donc incapable de dire un mot de réconfort... Je me sentais, assis comme je l’étais face à elle, semblable à une marionnette dont les fils ont été rompus et qui demeure tristement inerte, regrettant la main qui, jusque là, l’agitait et qui la faisait vivre.

    D’une voix tremblotante mais caressante, presque inaudible, elle s’adresse à nouveau à moi, rendant encore plus oppressant le poids qui m’enfonçait dans le gouffre :

    « Je suis restée un peu plus d’une heure à t’attendre. Je ne me suis pas présentée, j’ai juste pris une place dans cette salle. Et pendant un peu plus d’une heure, je n’ai pas cessé de te plaindre. J’ai vu le monde souffrir, tantôt en silence, tantôt en hurlant à la mort. J’ai vu la tristesse et le vide remplir cette salle. Et j’ai vu l’accablement se transformer en attente, en quête... mais j’ai surtout vu votre indifférence à vous autres. Comment pouvez-vous être aussi insensibles. Ce monde qui vous entoure, vous ne le voyez pas, ces gens qui viennent vers vous, vous répugnez à les regarder dans les yeux pour qu’ils cessent d’exister aux vôtres... Je vous ai vu arpenter les couloirs avec vos blouses, vos mines froides, l’air débordé. Mon Dieu comme elle est agaçante votre façon de trainer les pieds... ».

    A ce souvenir, apparemment désagréable, elle s’est tue et m’a enfin regardé. S’étant peut-être aperçue de l’handicap qui m’empêchais de bouger, elle s’est levée, s’est approchée de moi et m’a effleuré le visage de ses mains brûlantes : « As-tu seulement une idée de l’infinitude de mon amour pour toi », m’a-t-elle demandé dans un murmure.

    Le courage m’a manqué, cette fois encore, de lui dire oui. Oui, vu la façon dont elle exècre mon monde. A-t-elle seulement une idée de ce qu’il en coûte de regarder un patient dans les yeux? J’examine des cas, pas des individus. Les regarder, c’est risquer de s’impliquer émotionnellement et d’entamer un capital affectif souvent fragilisé par la promiscuité de la mort. Ce capital, c’est pour elle que je le préserve. Tant pis si elle ne le voit pas.


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  • Elle ouvre les yeux et c’est une lumière éclatante qui la pénètre. Encore une fois, elle a oublié de fermer les volets la veille au soir. Lui, dort tranquillement. A peine, elle l’entend respirer. Contrairement à elle, les lueurs aveuglantes du jour ne froissent jamais son sommeil. Les volets, il se demande à quoi ils servent.

    Elle se lève définitivement, plus question de se rendormir. Elle remonte le drap sur lui, avec précaution, de peur de le réveiller. Il a du rentrer tard, cette nuit encore.

    Sur sa table de nuit, un écrin en velours bleu indigo, ouvert. Dedans, une bague en or blanc rehaussée d’une perle noire dont le lustre est mis en valeur par les traits de lumière qui viennent s’y réfléchir. Elle la prend, l’examine mais ne l’essaye pas et referme sur elle son écrin de luxe.

    Sous la douche, elle repense à son rêve. Un rêve ou un cauchemar ? Elle hésite. Elle se revoit allongée sur le sable mais nulle part ailleurs, la mer. Elle se retourne, cherche du regard ses éternités bleues mais ne trouve que des étendues désertiques, du sable or et des pierres couleur argent, à longueur de vue. Elle reste étendue. Jusque-là aucun sentiment d’angoisse, juste un désir lancinant d’eau.

    Dans sa main, elle découvre une huître. Progressivement, une peur irrationnelle la submerge. Que peut contenir une huître si loin de la mer ? Elle regarde autour d’elle et découvre des coquilles partout offertes à l’astre du jour.

    Sortie de la douche, elle le trouve debout, lui faisant face, l’écrin à la main : « Tu ne l’aimes pas ? », lui demande-t-il.


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