• Lorsque j'avais reçu ce message et que j'avais vu son nom s'afficher sur mon écran, j'ai bien senti que rien se serait plus comme avant. Tous mes sens étaient en éveil. Fébrile, je tremblais de la tête aux pieds.

    Deux paragraphes. En parcourant seulement deux malheureux paragraphes, j'ai pris conscience de toute l'éternité qu'elle mettait soudain entre nous. "Nous", c'est ainsi qu'elle avait intitulé l'objet:

    "Nous,

    Quelque chose en moi me disait toujours que j'allais épouser un passionné, un poète. Quelque part, dans mon incinscient, j'ai pensé que ce serait certainement toi. Toi qui, imperceptiblement, nichais au fond de moi.

    ça ne se fera pas. J'en épouse un autre."


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  • Juste un moment de répit, quelques secondes pendant lesquelles elle lui tend une main tremblante, le supplie de rester auprès d’elle. A peine quelques secondes de discernement et s’en est fini. Il la perd de nouveau. Elle lui lance encore une fois un de ses regards chargés de reproches et s’en va en claquant la porte. Elle claque sans cesse la porte en s’en allant, sans cesse. D’ailleurs, il l’a toujours imaginée vivant dans une maison sans portes, ouverte au vent et aux nuages.

    Elle s’en est allée, brusquement, et l’a laissé perdu dans les dédales du silence. Ne flottait dans l’air qu’une fragrance boisée, vestige d’une sauvagerie douce et cruelle.


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    Sans même s'en rendre compte, il se retrouve dans le jardin en cette nuit sans lune. Une cigarette lui brûle les doigts. Il la jette par terre et machinalement l'écrase du pied gauche avec la même ardeur dont il faisait preuve quand, enfant, il écrasait avec désespoir des centaines de sauterelles venues un été d'on ne sait quel enfer tout exprès pour raser le pays de son enfance. Secoué de frissons, il repense au visage impassible de son père, les pieds occupés à écraser ces foutues bestioles et regardant, sans le voir, un champ de braise où ne subsistait que deux épouvantails meurtris, les yeux crevés.

    Il sort une autre cigarette d'un étui en bronze, la dirige vers ses lèvres mais ne l'allume pas. Il n'avait pas son briquet. Ses mains avaient beau vagabondé dans ses poches, rien n'y fait. Le briquet avait disparu. Pas d'allumettes non plus. Il n'en a jamais eu sur lui, des allumettes... Mais pourquoi n'avoir jamais pensé à acheter des allumettes ? Dix sept ans durant lesquels il n'avait pas arrêté de refaire inlassablement le même geste : ouvrir ce même étui qui avait servi son père avant lui, tirer une cigarette, veiller ensuite à libérer une belle flamme du briquet, tirer délicatement son souffle et l'expirer ensuite avec volupté.

    Pourquoi alors, ce soir, avoir perdu son briquet. Pourquoi, ce soir, avoir jeté une nouvelle fois cette cigarette vierge pour l'écraser encore avec frénésie.

    « Tu t'acharnes sur quoi là, sous cette pluie ? » me lance-t-elle avant de m'attraper par la main et me tirer sous le perron. Je lui ai tendu mon étui. Elle m'a tendu mon briquet mais s'est vite ravisée. Mes mains dans les siennes ne tremblaient plus. Nous sommes restés, debout, côte à côte, je ne saurai dire combien de temps, nos yeux tentant vainement de transpercer le noir : « les sauterelles, me dit-elle, seront-elles arrêtées par cette pluie ? »

    C'était la fin d'un cycle.


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    Ainsi a-t-elle conçu, ce que j'appelle par analogie, son propre « roman conjugal ». Elle me prenait pour un parfait étranger, se méfiait de moi et s'éloignait à chaque fois que je m'approchais d'elle pour ne point avoir à croiser mon regard. Souvent, je la surprenais fixant le portail d'entrée. Au début, je pensais qu'elle attendait quelqu'un ou quelque chose - que sais-je - ne surgisse soudain de je ne sais d'où mais j'ai vite compris qu'elle voulait en réalité s'échapper de ce lieu qu'elle tenait pour une prison, certes ouverte de toute part. Si elle ne l'a pas fait, c'est sans doute parce qu'elle craignait beaucoup plus les monstres qu'elle supposait tapis derrière ce portail que son triste geôlier. « Pourquoi m'as-tu ravi?", me lança-t-elle un premier jour de mai, assise sous un amandier, une brise légère ramenant ses cheveux sur ses yeux et ses mains occupées nerveusement à les tirer en arrière.

    Est-il possible que je sois seul responsable de son ravissement ? Avions-nous jamais été deux ! Mais alors, qui peut être cet Autre qu'elle me soupçonne d'avoir écarté ? Cet Autre idyllique à qui je suis supposé avoir dérobé la place et qui ne quitte pas ses pensées. N'est-il pas lui le ravisseur ?

    "C'est toi, c'est toi l'Autre.

    L'Autre, c'est toi.

    Toi d'avant moi", me lance-t-elle comme lisant dans mes pensées.


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    Son regard s'est arrêté soudain sur son reflet, figé, morne, livide. D'une main tremblante, elle se touche le visage, pince sa joue, tire ses pommettes entre le pousse et l'index vers les lobes de ses oreilles, lisse ses joues avec frénésie et s'approche du miroir à se confondre avec lui, dans une tentative désespérée de se reconnaître, de se donner un nom.

     

    La soustraire de son monde, la tirer de cette subjugation ridicule, prendre sa main et l'amener vers moi.

    Quelques fois, je tiens son visage entre mes mains. Je passe du temps à la regarder, du temps à en manquer. Je découvre ses yeux et, à mon tour, j'essaye d'emprunter la voie qui, est-il possible, me mènera vers elle. La regardant, je songe à faire le pas, à passer de l'autre côté et la rejoindre. J'y songe et c'est tout. Une angoisse froide me glace le cœur à chaque fois que j'entrevoie le chaos dans lequel elle continue de sombrer.


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